Bijou pictural du paquebot France de 1912, un tableau monumental de Gaston La Touche de retour à Saint-Nazaire
Par Simon Cherner Le FIGARO
Rescapée du luxueux transatlantique contemporain du Titanic, la peinture acquise à Londres, en début d’année, évoque la décoration Grand Siècle alors prisée des passagers de la Belle Époque. Le vestige d’une autre façon de voyager. Dans l’opulence et le passé.
On le surnommait le «Versailles des mers». Mis en service en 1912, la même année que son rival britannique, le Titanic , le paquebot France était le joyau flottant de son époque, l’un des ambassadeurs du luxe et du savoir-vivre à la française. Le premier bâtiment commercial de ce nom affrété par la Compagnie générale transatlantique, le France a assuré pendant une vingtaine d’années la liaison entre Le Havre et New York, à une époque où l’aviation civile commençait tout juste à déployer ses ailes. Un tourbillon de dorures, de lambris, de colonnes cannelées et de meubles raffinés impressionnait la clientèle la plus fortunée qui, pour dîner, empruntait le grand escalier menant à la fastueuse salle à manger de 1re classe. Un tableau monumental de Gaston La Touche (1854-1913) ornait cette descente comme un bijou serti au nombril du vaisseau. Aujourd’hui, plus de cinquante ans après le démantèlement du France et la dispersion de son mobilier, l’œuvre est de retour à Saint-Nazaire, à proximité des chantiers navals qui avaient donné vie au paquebot.
Préemptée aux enchères à Londres, en début d’année, L’arrivée de la princesse a débarqué sous bonne garde, le 9 octobre, au siège de Saint-Nazaire Agglomération Tourisme. Haute d’un peu plus de trois mètres, cette huile sur bois d’une coquetterie veloutée présente une aristocrate à robe bleue, conduite de son carrosse à une barque richement ornée, où l’attend un petit orchestre. Pas de grand voyage en perspective ; comme l’indique la présence d’une fontaine, la princesse s’embarque sur un bassin pour un après-midi de délassement et de détente. Une petite croisière, en somme. Cette aimable fantaisie aux couleurs chaudes, achevée en 1911, est l’une des dernières œuvres de Gaston La Touche, peintre de la Belle Époque qui avait fait l’objet d’une rétrospective au musée des Avelines, à Saint-Cloud, en 2014. Et comme l’indique l’emblème portant la lettre F, sur le dos de la barque – il s’agissait également d’une commande destinée à la jouissance exclusive des passagers du France.
Carte postale colorisée de 1912, représentant la grande descente de 1re classe dans la salle à manger du paquebot France, décorée du tableau de Gaston La Touche. Saint-Nazaire Agglomération Tourisme
Toutes les peintures du paquebot n’étaient cependant pas des originaux destinés à accomplir plusieurs fois par mois la traversée de l’Atlantique. Une copie du portrait en pied du Roi-Soleil peint par Hyacinthe Rigaud, trônait en majesté au centre du salon Louis XIV. D’autres reproductions ou pastiches complétaient les enfilades de ce palais flottant. «Le goût, en cette fin de Belle Époque, était de reproduire la décoration des belles demeures bourgeoises qui s’inspiraient des châteaux du Grand Siècle et de l’Ancien Régime . Ce style prestigieux plaisait à la clientèle américaine, car elle représentait l’archétype et l’excellence du goût français», explique Tiphaine Yvon, responsable du pôle patrimoine de Saint-Nazaire Agglomération Tourisme (Snat). «Nous pouvons aussi voir dans cette surcharge une tentative de faire à tout prix oublier la mer, qui était encore crainte en ce temps», ajoute-t-elle, en rappelant que la culture de plage et l’idéal du corps bronzé ne surgissent qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. Avec les années 1920, l’aménagement intérieur des transatlantiques prend le pli de cette évolution de société et délaisse les gloires passées du génie français pour l’art déco, et des goûts sans cesse plus contemporains.
Témoin rescapé de cette époque révolue, qui était aussi l’apogée des voyages transatlantiques, le tableau de Gaston Latouche épouse cette atmosphère d’indolence surannée recherchée par l’armateur. Le peintre a ainsi veillé à recouvrir sa surface d’une sous-couche de peinture dorée qui fait, encore aujourd’hui, irradier de luminosité les couleurs bien conservées du tableau, en particulier les robes, les dorures et les frondaisons. «Il nous fallait bien entendu acquérir ce tableau exceptionnel, d’autant plus que peu de biens du paquebot France de 1912 subsistent et circulent encore de nos jours et que nous cherchons sans cesse à compléter nos collections», affirme Tiphaine Yvon. De cette ancienne vitrine de la France, déconstruite à Dunkerque en 1935, la ville de Saint-Nazaire ne conserve plus que des éléments de boiseries, quelques meubles et autres décors de salon. Et des archives, bien sûr, notamment photographiques.
Autant d’objets au milieu desquels L’Arrivée de la princesse devrait détonner. Passée par une collection privée, outre-Manche, l’œuvre a été achetée – pour le tiers de son prix de départ, que le Snat garde confidentiel – par l’intermédiaire du Fonds régional pour l’acquisition des musées (Fram). Si elle se trouve en «relativement bon état, sans soulèvements ni fissures», elle devrait partir à moyen terme en restauration afin de réparer ses petites pertes de matière et passer un nettoyage complet. Du moins, dès que le financement de l’opération et un créneau en atelier seront validés. À plus longue échéance, la direction du patrimoine à Saint-Nazaire espère présenter L’Arrivée de la princesse au sein d’une scénographie renouvelée d’Escal’Atlantic, le centre d’interprétation immersif consacré à l’histoire des paquebots. Pour que vogue de plus belle la mémoire des transatlantiques d’autrefois.